Douze ans chef des Renseignements généraux, Yves Bertrand vient de publier un livre de souvenirs : « Je ne sais rien… mais je dirai (presque) tout », livre à deux voix, bien écrit, sous forme de conversations avec Eric Branca. L’excellent journaliste, directeur de la rédaction de « Valeurs actuelles », a su mener son entretien comme un interrogatoire. Et Yves Bertrand s’y est prêté de bonne grâce en livrant des analyses particulièrement intéressantes.
L’affaire de Carpentras : triomphe de la manipulation médiatique
Sur l’affaire de la profanation du cimetière juif de Carpentras, Yves Bertrand confirme la thèse de la manipulation médiatique. Alors que les institutions juives locales souhaitaient la discrétion, c’est de Paris qu’est venu l’ordre de projeter l’affaire en Une de l’actualité. Les « autorités » ont alors souhaité renforcer le mur entre la droite parlementaire et le Front national et pour cela accentuer la diabolisation du mouvement présidé par Jean–Marie Le Pen.
E. BRANCA : On vous a donc demandé de chercher le coupable exclusivement au sein du Front national ?
Y. BERTRAND : Pas exclusivement mais tous les services de police ont été mobilisés dans ce sens privilégié.
Ce qui explique sans doute que la police a beaucoup piétiné dans cette affaire.
Y.B. : Jusqu’à ce jour de 1996 où un ancien skinhead est venu se confier (à un inspecteur des RG) (…) le repenti s’appelait Yannick Garnier et a avoué avoir agi en compagnie de Jean–Claude Gos, décédé dans un accident de moto en 1993, suite à une collision avec une voiture dont le conducteur, peu après, a lui aussi été retrouvé mort noyé dans le Rhône.
E.B. : Comment expliquez-vous cela ?
Y.B. : Je ne me l’explique pas.
Reste que la manipulation médiatique de Carpentras a été politiquement très performante, beaucoup plus encore que le « détail » de 1987 : c’est elle qui a contribué à maintenir dans la durée le cordon sanitaire établi autour du Front national (et à faire adopter, le 30 juin 1990, la loi liberticide Gayssot*).
Islam radical et échec de l’intégration
Le lecteur l’aura compris, Yves Bertrand ne parle pas la langue de coton, il expose les faits. Le chapitre qu’il consacre à « l’Islam radical » est à cet égard éclairant. Il voit en Khaled Kelkal, le principal poseur de bombes de 1995 tué sous les balles de la police près de Lyon, le « roman d’un échec : celui de la fameuse intégration à la française, qui ne fonctionne plus. Quand ceux qu’on prétend intégrer ne reconnaissent pas les lois fondamentales de la République ». Bon connaisseur de l’Islam en France, Yves Bertrand insiste aussi sur le double langage de bien des imams musulmans : un prêche public raisonnable, un prêche privé à la sortie de mosquées qui l’est beaucoup moins. Ce qui vaut au lecteur cette définition : « Il existe, dans l’Islam intégriste, une démarche appelée “taquia” qui, en arabe, signifie “visière”, c'est-à-dire que l’on avance masqué. La “taquia” consiste donc à faire le gros dos quand la situation est fermée, à avancer ses pions et à tenir le langage de celui qu’on a en face de soi pour endormir sa méfiance, afin de mieux passer à l’offensive quand la situation le permet… Tout cela sans nos informateurs, nous ne le saurions pas. »
Ce qui autorise Yves Bertrand à conclure : « Nous savons aujourd’hui qu’une minorité, certes, mais une minorité agissante ne le joue pas (le jeu de la République). Et ce ne sont pas des institutions comme le Conseil représentatif du culte musulman qui permettront de régler la question. »
Quand l’extrême gauche fréquente les RG
Yves Bertrand n’est pas non plus avare de confidences sur l’extrême gauche. Il fut d’ailleurs accusé, à tort selon lui, par Lionel Jospin, alors premier ministre, d’avoir laissé fuiter son passé trotskyste qui était quasiment de notoriété publique… Mais il est drôle d’apprendre que Simone de Beauvoir, grande conscience féministe s’il en fut, sollicita le regard bienveillant des RG à propos de son grand homme, Jean–Paul Sartre ; elle craignait en effet, dans les années 1970, l’influence qu’exerçait sur lui Benny Lévy, l’un des inspirateurs de la gauche prolétarienne, devenu le secrétaire personnel de Sartre. L’alerte fut de courte durée, Benny Lévy s’éloignant ensuite de l’action révolutionnaire maoïste pour devenir… l’un des spécialistes mondiaux du Talmud.
Enfin, « pour finir par le distrayant », Yves Bertrand raconte une anecdote : le rendez–vous qu’il organisa entre « une grande liane blonde », directrice de collection dans une importante maison d’édition, et Dominique de Villepin, alors secrétaire général de l’Elysée. La dame vivant avec un responsable trotskyste de haut niveau n’eut qu’un mot pour commenter sa visite « Je n’ai jamais rencontré un aussi bel homme. »
Polémia Jean–Yves Menebrez 04/11/07
* Voir « Evolution des libertés en France » :
http://www.polemia.com/contenu.php?cat_id=42&iddoc=1559
Yves Bertrand, « Je ne sais rien… mais je dirai (presque) tout/ Conversations avec Eric Branca », Plon, 2007, 226 p.